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Frais professionnels: ils peuvent être payés forfaitairement sous certaines conditions

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calculatrice1En matière de remboursement de frais professionnels, les règles ont été clairement établies par la jurisprudence  (voir l’article précédemment publié sur le Blog pratique du droit du travail) :

1) les frais qu’un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’employeur, doivent lui être remboursés, sans qu’il ne puissent être imputés sur la rémunération qui lui est due, à moins qu’il n’ait été contractuellement prévu qu’il en conserverait la charge moyennant le versement d’une somme fixée à l’avance de manière forfaitaire et à la condition que la rémunération du travail reste au moins égale au SMIC.

Source: Cass soc 25 février 1998 n°95-44096; 9 janvier 2001 n°98-44833; 10 novembre 2004 n°02-41881; 27 mai 2009 n°07-42227;  23 septembre 2009 n°07-44477; 25 mars 2010 n°08-43156.

2) la clause du contrat de travail qui fixe un forfait de remboursement mensuel des frais professionnels est donc licite à condition que le salarié perçoive une rémunération, pour son travail, au moins égale au SMIC.

Si l’application de la clause conduit le salarié à être rémunéré en-dessous du SMIC, la clause demeure licite et opposable au salarié  dont la créance, c’est-à-dire la somme qui lui est due par l’employeur, ne peut porter que sur la différence entre la rémunération qu’il doit percevoir pour son travail et le montant du SMIC (Cass. soc. 7 mars 2012 n°10-18118).

Dans cet arrêt, la salariée soutenait que le forfait de 230 € , fixé dans son contrat de travail pour le remboursement des frais professionnels représentait la moitié seulement des frais réellement exposés, ce qui conduisait au risque permanent de voir sa rémunération s’établir à un niveau inférieur au SMIC; elle estimait donc que le forfait était « structurellement insuffisant », que , partant, la clause était illicite et lui était donc inopposable,  ce qui lui permettait de solliciter le remboursement intégral des frais qu’elle avait exposés. La cour d’appel l’avait suivie dans son raisonnement et lui avait alloué un rappel de frais d’un montant de 7 500 euros « en tenant compte de la difficulté pour la salariée de produire des éléments probants incontestables », cette difficulté  découlant directement, selon la Cour, « de la présence dans le contrat de travail de la salariée d’une clause nulle imputable à l’employeur ».

La Cour de cassation jugeait, quant à elle, que la clause n’était pas nulle, mais au contraire licite et donc opposable à la salariée.

La salariée était cependant en droit de réclamer la différence entre la rémunération due pour son travail et le montant du SMIC et la cour de cassation approuvait le raisonnement de la cour d’appel: « pour évaluer les sommes dues au titre des frais professionnels (…), la cour d’appel a, sans inverser la charge de la preuve, apprécié les éléments produits par la salariée et les modalités d’exécution du contrat de travail« .

  • Cet arrêt est également intéressant en ce qui concerne la preuve des frais professionnels, lorsque le salarié n’a pas conservé les justificatifs.

En l’espèce, la salariée, employée en qualité de conseiller en gestion de patrimoine, exposait qu’elle n’avait pas de secteur géographique et devait visiter pas moins de 16 clients par semaine; elle avait reconstitué jour par jour son activité à partir de ses relevés hebdomadaires et avait établi le décompte précis de ses frais de déplacement, stationnement, téléphone, restauration et petites fournitures de bureau d’où il résultait des frais mensuels allant de 707 € à 819 €, chiffres concordants avec les frais exposés par les autres démarcheurs qui avaient obtenu judiciairement des remboursements mensuels variant de 600 € à 800 €.

La cour d’appel de Paris a jugé qu’au vu des justificatifs produits, les modalités d’exécution du contrat, notamment l’étendue de la zone de prospection, des exigences contractuelles pesant sur la salariée, telles que le nombre de rendez-vous à assurer, et l’activité qu’elle avait réellement déployée, tenant compte de la difficulté pour elle de produire des éléments probants incontestables, cette situation découlant directement, selon la cour, « de la présence dans son contrat de la clause nulle », il convenait d’allouer à la salariée, sur la période du 16 novembre 2001 au 3 mars 2003 (non prescrite), soit quinze mois et demi de travail, la somme de 7.500 €, représentant 483 € par mois.

La cour de cassation a approuvé cette décision, sauf en ce que la cour d’appel avait dit que la clause forfaitaire contractuelle était nulle.

Pourtant, un an plus tôt, la cour de cassation avait jugé, dans une espèce où le salarié ne produisait pas de justificatifs, qu’il lui appartenait  de prouver l’existence des faits professionnels allégués.

Les faits étaient les suivants: la cour d’appel de Paris avait condamné l’employeur au paiement de certaines sommes à titre de remboursement des frais professionnels et de dommages-intérêts.

Pour l’employeur, aucun élément produit aux débats ne permettait d’établir que les frais détaillés par le salarié avaient été engagés dans l’intérêt de l’entreprise

La cour d’appel avait considéré qu’il ne pouvait être reproché au salarié de n’avoir pas conservé les justificatifs des frais exposés dès lors que la clause qui lui avait été imposée était litigieuse, « ce qui le dispensait par nature de produire tous justificatif ».

La cour de cassation censurait cette décision au motif que la cour d’appel avait inversé la charge de la preuve et violé l’article 1315 du code civil, alors qu’il appartient au salarié de prouver l’existence des frais professionnels allégués (Cass. soc. 16 juin 2011 n°10-14727).

Dans son arrêt plus récent du 7 mars 2012, la cour de cassation a manifestement assoupli sa position. Elle estime en effet que  la cour d’appel a, sans inverser la charge de la preuve, apprécié les éléments produits par la salariée et les modalités d’exécution du contrat de travail, tenant compte de la difficulté rencontrée par celle-ci pour produire des éléments probants incontestables du fait de la présence dans le contrat d’une clause de forfait nulle (la cour de cassation réaffirme toutefois dans cet arrêt que la clause n’est pas nulle).

  • De la même manière, lorsqu’une clause prévoit que le salarié conservera la charge des frais professionnels moyennant le versement d’une somme fixée à l’avance de manière forfaitaire, c’est à la condition que la rémunération du travail reste au moins égale au minimum conventionnel.

Le remboursement des frais professionnels ne constitue pas un élément du salaire.

La Cour de cassation a ainsi jugé que pour atteindre le salaire minimum conventionnel, l’employeur doit le majorer du montant de la somme forfaitaire prévue pour les frais professionnels (Cass. soc. 7 mai 1998 n°95-41585).

3) pour être opposable au salarié, la somme forfaitaire prévue au contrat pour le remboursement des frais ne doit pas être « manifestement disproportionnée au regard du montant réel des frais engagés » (Cass. soc. 20 juin 2013 n°11-19663; Cass. soc. 20 juin 2013 n°11-23071).

Ces deux affaires mettaient en cause le même employeur que dans la décision du 7 mars  2012, la société UBIFRANCE PATRIMOINE.

Dans la première affaire, la Cour d’appel de Paris avait considéré, « au vu des pièces justificatives, des modalités d’exécution du contrat de travail, notamment de l’étendue de la zone de prospection, des exigences contractuelles pesant sur le salarié, telles que le nombre de rendez-vous à assurer et l’activité réellement déployée », que  » le forfait accordé au salarié était structurellement insuffisant et ne représentait en moyenne que le tiers des frais réellement engagé »; dès lors, « elle a estimé, que ce forfait était manifestement disproportionné et que le salarié devait être remboursé des frais réellement exposés dont elle a apprécié souverainement le montant (600 euros par mois alors que la clause contractuelle prévoyait un remboursement forfaitaire de 230 euros par mois).

La Cour avait ainsi retenu l’existence d’une créance du salarié sur l’employeur d’un montant de 7 200 euros en remboursement des frais professionnels engagés de mars 2002 à mars 2003, 22 000 euros en remboursement des frais professionnels pour la période postérieure à mars 2003, outre 6 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice distinct lié au non remboursement intégral des frais professionnels.

La Cour de cassation reproche en revanche à la Cour de ne pas avoir vérifié si les manquements de l’employeur étaient suffisamment graves pour justifier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail

Dans la seconde affaire, la Cour d’appel de Rennes avait relevé « qu’en l’absence de moyens techniques mis à la disposition du salarié pour satisfaire aux exigences de l’employeur en nombre de visites, résultats et participation aux réunions, il était astreint à des déplacements en voiture sur toute la France, impliquant des frais importants ce qui l’obligeait à régler lui-même, sur un salaire égal au SMIC, une partie de ses frais professionnels »; il en ressortait « une disproportion manifeste entre le montant de la somme forfaitaire prévue au contrat aux fins de remboursement des frais professionnels, soit, mensuellement, 230 euros fixes, la part variable de la rémunération incluant une indemnité de10 % correspondant à un complément de remboursement forfaitaire, au regard la réalité des frais professionnels engagés par le salarié », ce dont il devait être déduit que la clause contractuelle, par ailleurs valable, n’était pas opposable au salarié, lequel était en droit de solliciter le paiement intégral des frais exposés.

Ce qu’il faut retenir:

La clause de remboursement forfaitaire des frais est valable à condition:

  • que la rémunération proprement dite du travail reste au moins égale au SMIC;
  • que le montant de la somme forfaitaire allouée au salarié ne soit pas manifestement disproportionné au regard du montant des frais professionnels réellement engagés, le principe étant  qu’un équilibre doit s’établir entre le montant du forfait et les frais réels, l’un et l’autre pouvant être ponctuellement plus élevés. Dès lors que cet équilibre est rompu, le forfait n’est plus opposable au salarié qui peut alors solliciter le remboursement des frais réels.

4) pour être tout à fait complet, il convient de rappeler qu’en l’absence de forfait contractuel, l’employeur ne peut fixer unilatéralement les conditions de prise en charge des frais professionnels en-deçà de leur coût réel.

L’employeur doit prendre en compte non seulement les frais d’essence mais également les frais inhérents au véhicule (usure, entretien, assurance), lesquels sont  évalués sur la base du barème fiscal.

En l’espèce, au sein de l’entreprise, les indemnités kilométriques versées aux salariés utilisant leur véhicule personnel étaient fixées à 0,29 euros par kilomètre parcouru. Le Conseil de prud’hommes, statuant en référé, a jugé qu’en l’absence de disposition contractuelle ou conventionnelle relative à la prise en charge des frais professionnels, le remboursement des frais de déplacement ayant été fixé par l’employeur à un montant inférieur à leur coût réel, il convenait d’allouer au salarié,employé en qualité de chauffeur-livreur, une provision à titre de compléments de remboursement d’indemnités kilométriques.du salarié.

Source: Cass. Soc. 23 septembre 2009

 

L’auteure de cet article

Cet article a été rédigé par Maître Nathalie Lailler, avocate spécialiste en droit du travail, de la sécurité sociale et de la protection sociale.

Si vous souhaitez une réponse documentée ou un conseil, vous pouvez demander une consultation en ligne avec Maître Lailler ici.

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