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L’entreprise qui travaille avec d’anciens salariés devenus auto-entrepreneurs doit être prudente

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ordinateur5Une société qui faisait travailler d’anciens salariés sous le statut d’auto-entrepreneur a été condamnée pénalement pour travail dissimulé.

Les juges ont considéré que « sous le couvert de mandats établis entre la société et plusieurs de ses anciens salariés ayant pris le statut d’auto-entrepreneurs, ces derniers fournissaient en réalité à la société des prestations dans des conditions qui les plaçaient dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celle-ci » (Cour de cassation, chambre criminelle, 15 décembre 2015, n°14-85638).

Cette affaire est l’occasion de rappeler quelques règles.

  • Le statut d’auto-entrepreneur est inconciliable avec le statut de salarié.

L’auto-entrepreneur est une personne physique qui exerce une activité commerciale à titre individuel. Son contrat est un contrat d’entreprise tel que défini par l’article 1710 du code civil: « Le louage d’ouvrage est un contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre, moyennant un prix convenu entre elles. »

Ainsi, à la différence du salarié, l’auto-entrepreneur exerce son activité en toute indépendance et sans lien de subordination avec son donneur d’ordre.

  • la présomption de non-salariat attachée à l’activité d’auto-entrepreneur peut être renversée

Il existe ce que l’on appelle une « présomption de non-salariat » attachée à l’activité de l’auto-entrepreneur, mais cette présomption peut être renversée :

« L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci » (article L8221-6 II du code du travail).

Il appartient au juge, en cas de contestation, d’interpréter la convention qui lie les parties, par application de l’article 1156 du code civil (« On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes »).

En d’autres termes, en cas de contestation sur la nature du contrat, le juge doit déterminer s’il s’agit d’un contrat d’entreprise ou d’un contrat de travail.

La Cour de cassation a précisé que « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs » (Cass soc 19 décembre 2000 n°98-40572).

– l’initiative même de la déclaration en travailleur indépendant (démarche non spontanée, a priori incompatible avec le travail indépendant) ;

– l’existence d’une relation salariale antérieure avec le même employeur, pour des fonctions identiques ou proches ;

– un donneur d’ordre unique ;

– le respect d’horaires ;

– le respect de consignes autres que celles strictement nécessaires aux exigences de sécurité sur le lieu d’exercice, pour les personnes intervenantes, ou bien pour le client, ou encore pour la bonne livraison d’un produit ;

– une facturation au nombre d’heures ou en jours ; – une absence ou une limitation forte d’initiatives dans le déroulement du travail ;

– l’intégration à une équipe de travail salariée ;

– la fourniture de matériels ou équipements (sauf équipements importants ou de sécurité).

  • Depuis la création du statut d’auto-entrepreneur, plusieurs actions ont été engagées  devant les conseils prud’hommes par des personnes qui voulaient faire requalifier leur relation d’auto-entrepreneur en relation salariale.

Les juges ont ainsi fait droit à la demande d’un auto-entrepreneur qui exerçait une activité commerciale pour le compte d’une société, estimant qu’il y avait contrat de travail dès lors que l’intéressé « avait travaillé dans le respect d’un planning quotidien précis établi par la société L., était tenu d’assister à des entretiens individuels et à des réunions commerciales, que la société L. lui avait assigné des objectifs de chiffre d’affaires annuel et qu’il lui était imposé, en des termes acerbes et critiques, de passer les ventes selon une procédure déterminée sous peine que celles-ci soient refusées » (Cass soc 6 mai 2015 n°13-27535).

  • Il existe également un risque pénal

C’est ce que rappelle l’affaire jugée par la Chambre criminelle le 15 décembre 2015.

Quels étaient les faits ?

Une société exerçant une activité de téléprospection avaient recruté d’anciens salariés pour exercer les mêmes fonctions de téléprospecteurs.

La chambre correctionnelle de la Cour d’appel d’Amiens avait tout d’abord rappelé que « l’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté des parties, ni de la qualification donnée, mais des conditions de fait dans lesquelles s’exerce l’activité du travailleur ; que doit être ainsi considéré comme salarié celui qui, quelle que soit la qualification donnée au contrat, accomplit un travail pour un employeur dans un lien de subordination juridique permanent, lequel résulte du pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements du travailleur ».

Pour condamner la société pour travail dissimulé, les juges ont relevé que :

– « les modalités d’exécution du travail accompli pour le compte de la société N. étaient largement imposées par celle-ci, notamment au regard de l’obligation de respecter l’utilisation du listing des clients potentiels à démarcher ainsi qu’une procédure commerciale précisément définie à l’avance ; qu’il était imposé aux auto-entrepreneurs de rendre très régulièrement compte du résultat des démarches téléphoniques effectuées ; que de surcroît, la société N. établissait elle-même les factures dont elle était débitrice à l’égard des auto-entrepreneurs ;
– les personnes d’abord recrutées comme salariés puis ayant poursuivi sous le statut d’auto-entrepreneur ont conservé exactement les mêmes fonctions assorties des mêmes modalités d’exécution du travail fourni pour le compte de la société N. ; qu’il existait une concordance exacte entre la date de création de l’auto-entreprise et la date du début de la mission accomplie pour le compte de la société N.;
– les auto-entrepreneurs travaillaient exclusivement pour le compte de la société N… et dans le cadre d’un contrat type commun à tous et selon des conditions imposées par cette dernière, notamment, selon un mode de rémunération identique et imposé par la société N. ; que ce caractère d’exclusivité plaçait manifestement les auto-entrepreneurs en situation de dépendance économique et de précarité ;
– les conditions de création et de radiation des auto-entrepreneurs démontrent que la création répondait exclusivement aux besoins de la société N., qui proposait l’activité sous cette forme et aidait à la réalisation des démarches de création ; que les auto-entrepreneurs prenaient l’initiative de la radiation au moment même où le travail fourni pour le compte de l’entreprise cessait ;
– le critère d’absence de pouvoir disciplinaire de  » l’employeur  » ne saurait résulter de l’absence de mention expresse dans le contrat liant les parties, dès lors que l’éventuelle sanction consistait en la résiliation du contrat ».

« L’ensemble de ces indices fait ressortir que la société N. a détourné de son objet le statut d’auto-entrepreneur uniquement dans le but reconnu d’échapper au paiement des charges sociales salariales ».

Le délit de travail dissimulé, prévu aux articles  L8221-5 et suivants du code du travail était par conséquent constitué et la société a été condamnée à une peine de 15 000 euros d’amende avec sursis.

« l’action en requalification du contrat, qui peut être introduite par un auto-entrepreneur devant le conseil des prud’hommes s’il conteste le caractère indépendant de la relation contractuelle qui le lie à son donneur d’ordre et estime ainsi être de facto lié par un contrat de travail. Si la requalification est prononcée, elle se traduit par : le paiement des salaires (avec les heures supplémentaires, le cas échéant), primes, congés, indemnités de toute nature correspondant à un poste de salarié équivalent et ce, depuis le début avéré de la relation de travail (en tout état de cause, le salaire ne peut être inférieur au SMIC ou au minimum conventionnel s’il y en a un) ; l’octroi de dommages et intérêts pour préjudice matériel ou moral ; le paiement des cotisations sociales du régime général pour toute la durée de la relation contractuelle ; en droit, le fait de maquiller sciemment une relation salariale en contrat d’entreprise ou de régie, ou en paiement en honoraires de prestations de service ponctuelles ou régulières, pour échapper à ses obligations d’employeur, est équivalent à faire travailler un salarié de façon non déclarée ou sous-déclarée. Il est donc constitutif du délit de travail dissimulé, dans les conditions précisées à l’article L. 8221-6 Il du code du travail. Il s’agit de l’une des infractions du code du travail les plus lourdement sanctionnées. Les poursuites peuvent être engagées par le parquet suite à procès-verbal d’un corps de contrôle (inspection du travail, URSSAF, voire police, gendarmerie, services fiscaux), ou bien suite à dépôt de plainte de salariés ou d’une organisation syndicale, ou encore suite à citation directe par le salarié auprès du procureur de la République. L’infraction de travail dissimulé peut donner lieu à de lourdes sanctions pénales (3 ans d’emprisonnement et 45 000 EUR d’amende, voire plus si la victime est mineure), administratives (inéligibilité aux aides à l’emploi et à la formation professionnelle ainsi qu’à l’accès aux marchés publics) et civiles, à l’instar de l’action civile en requalification décrite plus haut. D‘autres sanctions pénales peuvent d’ailleurs être prononcée au surplus, selon les situations rencontrées, telles que l’abus de vulnérabilité (art. 225-13 et 14 du code pénal) si, par exemple, l’employeur est convaincu d’avoir abusé de la faiblesse intellectuelle, de la situation sociale ou économique du salarié ou encore de son manque de maîtrise de la langue française, ou bien d’avoir procédé à des pressions à son encontre, ou encore si le salarié est soumis à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine ; l’emploi irrégulier d’étrangers, si le salarié est un étranger dépourvu d’autorisation de travail (art. L. 8251-1 du code du travail).

Ce qu’il faut retenir:

Faire travailler d’anciens salariés sous le statut d’auto-entrepreneur expose le donneur d’ordre à un risque de requalification du contrat d’entreprise en contrat de travail et à un risque pénal pour travail dissimulé s’il s’avère que l’ancien salarié continue de travailler dans un lien de subordination juridique permanente.

 

L’auteure de cet article

Cet article a été rédigé par Maître Nathalie Lailler, avocate spécialiste en droit du travail, de la sécurité sociale et de la protection sociale.

Si vous souhaitez une réponse documentée ou un conseil, vous pouvez demander une consultation en ligne avec Maître Lailler ici.

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